Installation et vie à L'Île-d'Orléans

Mathurin, encore célibataire, devient propriétaire en 1667 d'une terre concédée par son ancien employeur dans une seigneurie de la région de Québec. C'était une étape importante pour celui qui désirait fonder foyer dans la colonie et un moyen de dénicher un jour une épouse convenable comme nous venons de le démontrer.

La concession du 22 juin 1667

Seigneur de la côte de Beaupré et de l' île d'Orléans, Mgr de Laval concède en juin 1667 des terres à une vingtaine d'hommes, dont Mathurin Dubé. Le mercredi 22 juin 1667, par devant le notaire royal Paul Vachon, Mgr de Laval concède à Mathurin Dubé « trois arpents de terre de front sur led. Fleuve St Laurent au passage du sud » et la concession s'étend sur près de deux milles de profondeur jusqu'au centre de l'île. Cette terre, voisine de celles de Pierre Michaud et de Jacques Dugas, se trouve la deuxième à l'ouest de la petite rivière Lafleur et est située dans la paroisse de Sainte-Famille, la seule à ce moment-là sur l'île. Après 1678, cette terre fera partie de la paroisse de Saint-Jean. L'île d'Orléans, appelée aussi l'île Saint-Laurent, comptait alors 529 habitants.

Comme tout censitaire à l'époque, Mathurin a l'obligation de « sy establir dy avoir feu et lieu…dans un an de ce jour, de cultiver les terres » sous peine de se voir retirer la concession sans pouvoir en recevoir compensation. Il doit payer au seigneur les cens et rentes mentionnés au contrat de location en plus de faire moudre son grain au moulin banal. Il doit aussi laisser un chemin de quinze pieds de large de chaque côté de sa terre et autant le long du fleuve, clôturer son terrain et réserver une partie de sa terre pour servir de Commune partagée avec les autres habitants. Le contrat est signé en présence de Paul de Rainville, huissier des seigneuries de Beauport et de Notre-Dame-des-Anges, Jean Creste, maître charron habitant, et Jacques Dugas qui ont signé avec Mgr de Laval et le notaire Vachon, Mathurin Dubé ayant déclaré « ne scavoir escrire ny signé ».

Famille de défricheurs

Certains documents nous fournissent des bribes de renseignements sur l'implication de Mathurin et de Marie dans leur nouveau milieu de vie. Dès 1667, Mathurin retrouve à l'île d'Orléans ses anciens compagnons de travail du Petit-Pré : Pierre Rondeau et Nicolas Audet dit Lapointe. Comme Mathurin, ils étaient originaires du Poitou, mais plus jeunes que notre ancêtre. Leurs terres étaient voisines. Ils ont été témoins au mariage de chacun d'eux. Pierre Rondeau, marié en 1669, à Catherine Verrier et Nicolas Audet, dont le mariage avec Madeleine Després a été célébré 12 jours après celui de Mathurin, ont aussi épousé des « Filles du roi ». Mathurin est aussi témoin à quelques autres mariages de ses voisins ou amis. Marie est marraine à plusieurs reprises alors qu'elle vit à l'île d'Orléans. Les minutes des notaires nous renseignent un peu sur la vie quotidienne de nos ancêtres. Le 9 juin 1671, Mathurin et son épouse sont appelés à témoigner dans une enquête relative aux mauvais traitements infligés par Mathurin Thibodeau dit Lalime à Marie Ancelin, épouse de leur voisin Pierre Michaud. Le 19 juin 1673, Mathurin assiste à l'inventaire des biens de feu Jean Allaire et, le 4 mai 1676, à celui de Pierre Therrien. Le 16 août 1678, Mathurin intervient comme arbitre dans une dispute entre Pierre Rondeau, défendeur, et Julien Dumont, demandeur. Le 26 octobre 1678, Mathurin est mentionné au contrat de mariage de Jean Mourier-dit-le-Père-Véron et de Marie Mineau.

En 1676, Mathurin se procurait des objets de première nécessité pour assurer une vie décente à sa famille ainsi que nous l'apprend la vente aux enchères des biens d'un de ses voisins décédé, Jean Allaire, vente présidée par le notaire Paul Vachon. Mathurin y achète une fourche et une faucille pour 1,5 livre, un demi-boisseau de sel pour 1 livre, deux vieilles barriques et deux demi-barriques munies de robinets pour 7 livres. Selon ce que nous apprend Pierre Boucher, gouverneur des Trois-Rivières, le vin était consommé «dans les meilleures maisons, de la bière dans d'autres et un autre breuvage qu'on appelle du bouillon qui se boit communément dans toutes les maisons; les plus pauvres boivent de l'eau, qui est fort bonne et commune en ce pays icy ». Le bouillon était une bière à l'orge additionnée de blé ou de maïs, fermentée, diluée à l'eau et vieillie dans des fûts. Le Conseil Souverain en interdit la vente aux habitants, mais les fabricants l'ont ignoré. La famille de Mathurin a probablement utilisé ces barriques du voisin pour fabriquer son propre bouillon. Marie a sans doute exécuté toutes les tâches du foyer, comme les femmes de ce temps s'y adonnaient. Le recensement de 1681 nous apprend que Mathurin ne possédait qu'une bête à cornes et n'avait réussi à mettre en valeur que trois arpents de terre. Il est certain que notre ancêtre devait ajouter les produits de la pêche, de la chasse – même s'il ne déclare pas posséder de fusil lors de ce recensement – et de la cueillette à sa production agricole pour assurer la subsistance de sa famille. Sa situation de défricheur n'était guère différente de celle de ses voisins.

Le bail de la ferme d'Éléonore de Grandmaison

Misant peut-être sur la main-d'œuvre familiale croissante, - son fils Mathurin et sa fille Madeleine ont alors respectivement 12 et 10 ans – le 29 octobre 1684, Mathurin accepte, pour cinq ans, devant le notaire Gilles Rageot, la gestion à bail de la ferme de Madame Éléonore de Grandmaison, de Québec, veuve d'un ancien conseiller au Conseil Souverain. Cette ferme « contenant quarante arpens de front traversant Lisle St Laurens dun bout a lautre », connue sous l'appellation de terre de Beaulieu, était située sur le fief de La Grossardière, dans la paroisse Saint-Pierre-de-l'Île-d'Orléans, à quelque 10 milles de Saint-Jean. Mathurin loue cette ferme avec les bâtiments, les animaux, le foin et la paille de même que toutes les « autres choses nécessaires pour faire valloir lad. terre. ». En retour, il doit cultiver la terre, entretenir les « clostures » et remettre le tout en bon état à la fin du bail; il doit aussi fournir chaque année à la demeure de Québec de Madame de Grandmaison une partie de la récolte. En plus d'Éléonore de Grandmaison et du notaire Rageot, l'acte mentionne les témoins Pierre Rondeau, de l'île d'Orléans, Pierre Biron et René Hubert. Encore une fois on mentionne que « led Dubé(a) déclaré ne scavoir escrire ny signer ». Malgré le poids des obligations à rencontrer et la distance à parcourir entre son habitation et la nouvelle ferme, Mathurin devait entrevoir, au moment d'accepter ce bail, une occasion d'améliorer son sort et celui de sa famille. Cependant, rien ne nous permet d'affirmer que Mathurin ait déménagé sur cette ferme et qu'il ait rempli ses engagements. En effet, le 13 février 1685, Éléonore de Grandmaison passe un nouveau bail à ferme pour sa « terre à Beaulieu » dont elle confie l'exploitation à Jean Marandeau, fils, pour cinq ans.