Arrivée et rencontre en Nouvelle-France

La venue de Mathurin

Comme beaucoup d’émigrants pour la Nouvelle-France, Mathurin s’est probablement embarqué au port de La Rochelle sur l’un des bateaux marchands qui assuraient la liaison entre la métropole et sa colonie à cette époque. Les agents recruteurs du Poitou avaient un penchant pour la Nouvelle-France. En effet, entre 1608 et 1700, 569 Poitevins y ont immigré. Mathurin est le seul venu de La Chapelle-Thémer, mais il y en eut 45 issus de Fontenay-le-Comte, capitale du Bas-Poitou, au sud de la Vendée, à une quinzaine de kilomètres du lieu de naissance de notre ancêtre. Mathurin était un immigrant normalement engagé par contrat qui, comme plusieurs de ses contemporains, espérait améliorer son sort en traversant outre Atlantique.

Il n’y a pas de consensus chez les chercheurs concernant la date de l’arrivée de Mathurin en Nouvelle-France. Selon le généalogiste Michel Langlois, Mathurin Dubé « vient au pays comme engagé vers 1663. » La plupart des immigrants de l’époque étaient des soldats, des marins, des artisans ou de pauvres gens, dont certains s’engageaient envers un employeur en signant un contrat qui les liait à ce dernier pour trois ans. Leur contrat terminé, ils pouvaient retourner en France ou demeurer en Amérique, y exercer leur métier ou devenir propriétaires terriens. Le contrat d’engagement de Mathurin n’a pu être retrouvé, malgré les recherches faites dans les Archives de la Charente-Maritime et de la Vendée. Comme Mathurin se fit concéder une terre en 1667, nous pouvons présumer que son arrivée remonte au moins à l’été de 1664.

C’est dans le recensement de 1666 que l’on trouve la première mention du nom de Mathurin, simplement identifié comme «le nommé Dubé», âgé de 33 ans, parmi les douze domestiques au service de Mgr de Laval dans la seigneurie de Beaupré. Ces domestiques, âgés de 18 à 40 ans, pratiquaient le métier de laboureur, charpentier, maçon, tailleur et cordonnier. Qualifié de « travaillans », comme six de ses compagnons, Mathurin était employé aux travaux de la ferme sur le domaine seigneurial situé à proximité du ruisseau qui longe le moulin construit en 1695 sur l’ordre de Mgr de Laval, connu aujourd’hui comme le moulin du Petit-Pré servant de centre d’interprétation historique. Les engagés devaient habituellement servir leur maître durant trois ans avant de songer au mariage. Il leur arrivait souvent d’être vêtus, nourris et logés, et même de recevoir une petite solde. Plusieurs devaient attendre plus de trois ans avant de convoler, en raison du manque de jeunes filles à marier. En 1667, Mathurin devient propriétaire d’une terre à l’île d’Orléans. Il y est recensé de nouveau, sous le patronyme « Duberg », parmi un groupe de célibataires, dont deux anciens compagnons du Petit-Pré, et on lui donne 30 ans. C’est là qu’il commence sa vie de défricheur et ses efforts pour accumuler un pécule suffisant lui permettant d’aspirer au mariage.

L'arrivée de Marie et premiers contacts avec Mathurin

Marie Campion, après une longue et éprouvante traversée de l’Atlantique, arrive à Québec le 31 juillet 1670 à bord du navire «La Nouvelle-France» parti de Dieppe avec une escale à La Rochelle. Elle est en compagnie de 119 autres «Filles du Roy» recrutées à Paris par Élisabeth Estienne. Rappelons qu’elle n’a que seize ans et est orpheline. Elle ne fait pas exception, car des « Filles du roi » dénombrées de 1663 à 1673 par Yves Landry, 194 étaient âgées de 14 à 20 ans et environ 65% étaient orphelines. Plusieurs d’entre elles ont été confiées aux Ursulines et aux Hospitalières jusqu’à ce qu’elles trouvent mari. Que Marie ait été hébergée par les communautés ou dans l’une des maisons de madame Gasnier-Bourdon, cela a certainement influencé son avenir. Mathurin a-t-il rencontré Marie dans l’un des établissements possédés par ces communautés à l’ouest de l’île d’Orléans ou à l’église de Sainte-Famille ? Selon l’hypothèse la plus plausible, Marie a été présentée à Mathurin par Anne Gasnier-Bourdon, vraisemblablement conseillée par l’entourage de Mgr François de Laval qui avait concédé à son ancien engagé une terre dans sa seigneurie de l’île d’Orléans.

Le mariage de Mathurin et de Marie

Il ne faut pas se surprendre que Marie Campion, comme la plupart des « Filles du roi », trouve rapidement un « épouseur ». Ses fréquentations sont de courte durée comme c’est le cas de la plupart de ses compagnes. Mgr de Laval, dans une lettre au ministre Colbert le 30 septembre 1670, affirme que «la plus grande partie des cent cinquante filles que vous y avés envoyées cette année, ont esté mariées en très-peu de temps.» Les autorités avaient pris des moyens coercitifs en 1670 et 1671 pour forcer les hommes célibataires à se marier instamment; de plus, il fallait marier les filles le plus tôt possible parce qu’elles étaient à la charge du trésor royal. Marie et Mathurin se présentent devant le notaire royal Romain Becquet, dans la maison de madame Gasnier-Bourdon, le dimanche 24 août 1670 pour y signer leurs «promesses » et convention de mariage selon la Coutume de Paris. Les protectrices de Marie, mesdames Estienne et Gasnier-Bourdon, de même que Louis Rouer de Villeray, membre du Conseil Souverain, Jean Baptiste Gosset et Claude Morin, deux notables de Québec, apposent leurs signatures au bas du contrat. Le mariage est célébré dix jours plus tard, le mercredi 3 septembre, à l’église de Sainte-Famille, île d’Orléans, en présence de Pierre Rondeau et Nicolas Odet, anciens compagnons de travail de Mathurin sur la ferme seigneuriale de Mgr de Laval au Petit-Pré et devenus par la suite ses voisins à l’ île d’Orléans.

En résumé, nous connaissons bien le point de départ de Mathurin en Europe à travers ce contrat de mariage, mais nous ignorons à peu près tous les détails entourant son arrivée en Nouvelle-France. Par contre, nous avons des hésitations sur l’origine précise de Marie, mais nous sommes très bien informés du contexte de son arrivée dans la colonie et ce mariage en est le couronnement.

Texte du contrat de mariage de Mathurin Dubé et Marie Campion le 24 août 1670 devant le notaire Romain Becquet. Notez que le nom de Mathurin est écrit Dubey comme on le verra quelquefois plus tard chez les francophones mais beaucoup plus fréquemment en milieu anglophone.